Quelle vision de l’école se cache derrière « le choc des savoirs » ? Sa mesure phare – les groupes de niveau – inquiète et remet en cause la réussite de tous les élèves.
« Le choc des savoirs ». L’annonce du ministre de l’Éducation nationale le 5 octobre 2023 sonne comme une punchline. Les axes du projet mis en ligne sur le site du ministère avec un sens aigu de la communication se révèlent difficilement critiquables : mieux soutenir les enseignants, adapter les enseignements aux besoins des enfants, rehausser le niveau d’exigence et d’ambition pour tous les élèves…
Pourtant, derrière ces mots se dissimule un package de mesures explosives et, pour le moment, ce sont les personnels de direction et les chercheurs qui sont sous le choc. Programmes articulés autour d’objectifs annuels, socle commun réorganisé autour de compétences disciplinaires, recours au redoublement, refondation du diplôme national du brevet (DNB)… « Ce projet est contraire à nos valeurs et engendre de nombreuses difficultés techniques et organisationnelles », insiste Audrey Chanonat, secrétaire nationale Éducation pédagogie au SNPDEN-Unsa.
Le syndicat national des personnels de direction l’a d’ailleurs clairement signifié dans une lettre d’alerte à Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’Éducation nationale en poste le 22 janvier. « Sa mise en œuvre d’ici la rentrée 2024 est un véritable casse-tête. Elle bouscule l’organisation des enseignements, les conditions de travail des enseignants et l’accueil des stagiaires », continue la secrétaire nationale qui déplore également la fin de la marge d’autonomie des établissements.
Jusqu’alors, un nombre d’heures volantes permettait aux équipes de répondre à des besoins « locaux ». « Avec les groupes de niveau en mathématiques et en français pour les 6e et 5e, on ne pourra plus le faire, se désole la syndicaliste. Et dans les petits établissements, ces groupes ne pourront techniquement pas être mis en place, faute de professeurs en nombre suffisant. » Car parmi toutes les mesures – auxquelles s’ajoutent les annonces du président de la République (cours de théâtre, uniforme, EMC) – celle qui fait le plus couler d’encre est sans aucun doute les groupes de niveau1. « Ils heurtent notre vision de l’école », résume Audrey Chanonat.
Vers un découragement terrible des élèves
« Une telle mesure est dramatique pour toute la société, explique Sylvain Connac, professeur en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Qu’il faille se retrousser les manches, pour repenser l’école et pas seulement le collège, c’est une évidence, mais pas avec cette réponse catastrophique, injuste et culpabilisante. »
Pour une fois, tous les chercheurs sont d’accord. Les groupes de niveau sont sans effet notoire sur les meilleurs élèves et catastrophiques pour les moins bons. « Résultat, ils sont très efficaces pour creuser l’écart entre les bons et les mauvais élèves, continue Sylvain Connac.
Pas parce que les meilleurs progressent plus vite, mais parce que les plus faibles plongent. »
Mettre un élève en difficulté avec d’autres élèves en difficulté génère des sentiments de découragement et d’incompétence. Le manque de confiance que cela implique rend les apprentissages plus difficiles… et va à l’encontre du troisième axe du choc des savoirs. Comment rehausser le niveau d’ambition pour tous les élèves avec une telle mesure ?
(1) Dans la nouvelle rédaction des textes, suite au Conseil supérieur de l’éducation du 8 février, le ministère a inscrit le mot « groupes », en remplacement de la formule « groupes de niveau » pour tenter d’apaiser le courroux des membres du CSE. Une manœuvre hypocrite qu’ont dénoncé l’ensemble des organisations en votant à l’unanimité contre l’arrêté sur la nouvelle organisation du collège (67 voix contre).